Cellulaire: distraction meurtrière pour les piétons

Mais les conducteurs sont plus souvent fautifs et les vieux plus à risque

Mais les conducteurs sont plus souvent fautifs et les plus vieux plus à risque.
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Publié 06/07/2017 par Rabéa Kabbaj

Aux États-Unis comme chez nous, où le nombre de piétons tués était en hausse en 2016, des experts avancent une nouvelle cause pour expliquer ce phénomène: la distraction occasionnée par l’utilisation des téléphones cellulaires par les piétons. Un argument qui ne tient pas complètement la route…

6000 morts aux États-Unis

Dans son rapport Pedestrian Traffic Fatalities by State, l’organisme américain sans but lucratif Governors Highway Safety Association (GHSA) comptabilise une augmentation de 11% de décès impliquant un cellulaire pour 2016, par rapport à 2015 — et souligne qu’il s’agit de l’augmentation la plus importante depuis 40 ans, toutes causes confondues.

Cette augmentation porterait à 6 000 le nombre de piétons américains tués en utilisant leurs cellulaires en 2016. Parmi les explications avancées par le GHSA, «l’augmentation de l’utilisation des téléphones intelligents par l’ensemble des usagers de la route, qui peut être une source de distraction significative tant pour les conducteurs que pour les piétons».

Selon Reuters, l’auteur de cette étude, Richard Retting, considère l’augmentation de décès des piétons comme étant largement attribuable à l’usage du cellulaire. D’après ce chercheur, bien qu’il soit statistiquement difficile d’écarter entièrement les autres causes, l’augmentation simultanée des décès et celle de l’usage des cellulaires suggéreraient ce lien.

Pas seulement les jeunes

Toujours chez nos voisins du Sud, cette distraction a aussi été pointée du doigt par le National Safety Council, un organisme sans but lucratif spécialisé dans la sensibilisation aux morts accidentelles et à la sécurité routière. En 2015, dans son rapport annuel Injury Facts qui compile les statistiques et les causes des décès et des blessures sur la route, l’organisme a choisi d’inclure pour la première fois les chiffres relatifs aux incidents dus à la distraction des piétons avec leurs cellulaires, tant le phénomène lui paraissait d’envergure.

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L’OSBL a répertorié 11 000 blessés pour ce type de distractions entre 2000 et 2011, ce qui en ferait une «menace significative pour la sécurité» et une «tendance alarmante».

En outre, même si les 40 ans et moins sont les plus touchés (54%), ces accidents touchent toutes les catégories d’âge. Le nombre de blessés chez les 71 ans et plus est de 22%, indique l’étude. Les chiffres de cette catégorie sont toutefois à prendre avec des pincettes, puisqu’ils incluent également les incidents qui surviennent par exemple, à la maison. Ceux-ci représenteraient d’ailleurs 52% des cas répertoriés selon l’étude.

Traverser en textant

Dans son Profil détaillé des faits et des statistiques touchant les piétons paru en janvier 2017 — soit quelques mois avant la publication du bilan routier 2016 — la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) signale que près d’un piéton utilisateur de cellulaire sur cinq regarderait son téléphone en traversant à une intersection, et ce «la plupart du temps pour envoyer des messages textes».

«L’utilisation d’un cellulaire influençait aussi la vitesse de marche et l’analyse de la circulation avant de traverser», souligne la SAAQ.

En outre, rapporte la SAAQ dans ce même document, une étude américaine de 2008 a montré que le pourcentage des piétons imprudents avoisinait les 48% chez les utilisateurs de cellulaires, contre seulement 16% chez les usagers de baladeurs, et 25% chez ceux qui n’utilisaient aucun de ces deux appareils au moment de traverser.

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À l’échelle du Canada, la question préoccupe également. D’après un sondage publié à l’automne 2016, la majorité des Canadiens se disent en effet favorables à l’interdiction du cellulaire pour les piétons.

La distraction du conducteur

Toutefois, il ressort aussi du rapport de la SAAQ que c’est la distraction générale, et non seulement celle attribuable au cellulaire, qui constitue la cause majeure de ces accidents: elle est la cause de 64% des accidents ayant occasionné des dommages corporels au piéton entre 2011 et 2015, contre 10% pour le non-respect du Code de la route et 5% pour la consommation d’alcool ou de drogue.

Et dans les deux tiers de ces cas de distraction, c’était le conducteur qui était fautif.

Vieillissement

Il existe un autre facteur pouvant être mis en cause. En effet, dans le bilan routier du Québec de 2016, la SAAQ indique que la hausse des décès piétonniers est «principalement attribuable à une augmentation des décès chez les piétons âgés de 75 ans ou plus». Une tranche d’âge qui n’est pas a priori parmi les plus accros au téléphone intelligent.

«Parmi l’ensemble des piétons, les personnes âgées présentent un niveau de vulnérabilité supérieur, maintes fois confirmé dans la littérature», indique Marie-Soleil Cloutier, de l’INRS, dans son rapport de recherche Projet PARI Piétons âgés : risque et insécurité routière chez une population grandissante.

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En ce sens, les statistiques sont claires: les personnes de 65 ans et plus représentent jusqu’à 50% de tous les piétons blessés dans les pays de l’Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE).

Un rapport de Transport Canada de 2009, compilant les accidents mortels impliquant un piéton entre 2004 et 2006, révélait que les personnes âgées représentaient plus du tiers des décès piétons au Canada, malgré qu’elles ne constituaient que 13% de la population.

Responsabilité partagée

Verdict: si le piéton semble de plus en plus devenir un petextrian pour reprendre le néologisme anglophone décriant la dépendance des piétons (pedestrian) pour les textos — l’augmentation des victimes ne semble pas toujours pouvoir être attribuée à cette distraction. Le problème semble plus vaste et nécessite de sensibiliser tous les usagers de la route.

Auteur

  • Rabéa Kabbaj

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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