Bêtise et petitesse de l’être humain

L’innocent
Sergio Kokis, L’innocent, roman, Montréal, Lévesque éditeur, coll. Réverbération, 2018, 228 pages, 27$. L’illustration en page couverture est une encre sur papier intitulée L’enfant, créée par l’auteur.
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Publié 17/02/2019 par Paul-François Sylvestre

Les scandales pédophiles au sein de l’Église catholique durent depuis des siècles. Sergio Kokis s’en inspire pour écrire L’innocent, un roman dont l’action se déroule au Monastère royal de Saint-Benoît, où les voies du Seigneur sont impénétrables, alors que celles du diable demeurent «pleines de ruses et de déguisements».

Le monastère est un prieuré et non une abbaye. Plusieurs moines bénédictins sont en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Le 25 juillet 1593, fête de saint Jacques le Majeur ou Santiago, un enfant est laissé à la porte du monastère… qui n’a pas besoin d’une autre bouche à nourrir.

Charme nouveau

Le portier apporte le bébé à Frère Isodoro, herboriste, qui est aussitôt victime d’un «charme nouveau» contre lequel il se sent impuissant. Il décide d’élever le bambin de 3 ou 4 ans et le baptise Tiago en l’honneur de Santiago.

Lorsque l’enfant apprend à lire et à écrire, il ignore complètement le sens des mots. Il a cependant une mémoire phénoménale et peut répéter sans la moindre erreur des passages en latin ou des réponses du catéchisme.

Ignorance VS mémoire

Frère Isidoro ne tarde pas à remarquer «l’ignorance abyssale accompagnée d’une mémoire diabolique» de son pupille. Le frère herboriste n’ose pas dénoncer le comportement de Tiago, car le tribunal de la Sainte Inquisition l’immolerait tout de go sur le bûcher.

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Comment définir Tiago? Est-il idiot, fou, innocent, possédé…? C’est un être doux, très beau, d’une mémoire extraordinaire, «mais sans la moindre trace d’entendement». Un esprit disloqué.

Dépravation

L’auteur décrit bien le climat néfaste de méfiance, de médisance et de dépravation qui enveloppe le prieuré. Frère Ambrosio, maître de catéchèse, et frère Florindo, directeur de la chorale, sont des pédérastes que le prieur tolère car ils viennent de familles nobles qui ont largement payé pour envoyer leurs fils au sacerdoce et ainsi «les mettre à l’abri des scandales».

Le romancier ajoute que «la dépravation des mœurs de plusieurs moines et novices issus de familles riches» trouvait souvent sa solution «dans le monastère pour échapper au courroux de l’Inquisition». Il écrit aussi qu’on prend peu de bains car ils sont le fondement de tous les péchés charnels. «Une peau propre révèle une âme sale.»

Frère Isidoro regrette presque de ne pas avoir de passion charnelle à l’endroit de son pupille. Ce qui le fascine chez Tiago, «c’est le contraste entre son enveloppe charnelle presque angélique et son monde spirituel d’allure démoniaque».

Exorcisme

La question du Démon occupe une place centrale dans le roman. Le frère herboriste ne voit rien de diabolique dans la nature et se demande comment «un Dieu tout-puissant, doublé d’un artiste de son talent, aurait conservé l’hypothèse d’un démon?»

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Frère Alberto, barbier-chirurgien, lui répond que le démon est nécessaire pour tenir le vulgaire en laisse.

Sans révéler le dénouement de l’intrigue, je vous signale que l’histoire se corse à la suite d’un viol hors les murs du monastère, d’une apparition de la Vierge Marie, d’un exorcisme et d’un ermitage forcé… Résultat: «Ce qui m’accable n’est pas la nature, mais bien mes semblables (…), la bêtise et la petitesse de mes semblables.»

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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