Attachez vos tuques et mettez vos mitaines

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Publié 20/02/2006 par Martin Francoeur

L’hiver est sur le point de faire officiellement son arrivée. Mais dans la réalité de notre nez, de nos doigts, de nos oreilles, de nos pieds, on peut dire sans trop se tromper qu’il est déjà installé. Sournoisement, peut-être, mais tout de même bel et bien là. Quand une couche de neige recouvre le sol sans vouloir fondre dans les jours qui suivent, quand le mercure se promène jusqu’en dessous de zéro, quand les décorations de Noël font leur apparition et que les centres de ski commencent à ouvrir leurs pentes aux skieurs, il n’y a plus de place pour le doute.

Après tout, le solstice d’hiver n’est qu’un moment. Le climat, lui, s’hivernise bien avant le 20 ou le 21 décembre. Il est alors temps, Canadiens que nous sommes, de sortir l’artillerie lourde: manteaux doublés, chaussons de laine, foulards, tuques et mitaines! Pour bien des peuples, confor-tablement installés à quelques dizaines de degrés de latitude plus au sud, ces vêtements ne sont peut-être même pas connus. Mais nous avons la chance d’avoir une garde-robe pour se couvrir aussi bien à 35 degrés Celsius qu’à moins 35…

De ces vêtements hivernaux, la tuque et la mitaine sont peut-être les plus intéressants. Non pas en ce qui a trait à leur fonction ou à leur confection, mais bien en tant que mots de notre vocabulaire français. Pourquoi? Parce qu’ils sont bien de chez nous. Et ils ont droit de cité dans les dictionnaires, quelque académiques soient-ils.

La mitaine, d’abord… Le Robert nous dit que le mot vient peut-être de «mite», ce petit papillon dont la larve ronge les étoffes de laine et les fourrures. On suggère aussi une autre hypothèse: celle selon laquelle le mot viendrait de «mite», un mot que l’on associe au chat (chattemite, mistigri, marmite…). Mais c’est la première origine qui semble la plus partagée, notamment par plusieurs ouvrages portant sur les canadianismes. Le Robert nous dit d’ailleurs que le mot «mitaine» est soit vieilli, soit un régionalisme propre au Canada. Il a alors le sens de «moufle», que l’on n’emploie pas chez nous.

Pour les Français et les Européens francophones, «mitaine» désigne plutôt un gant qui laisse à découvert les deux dernières phalanges des doigts. Ici, c’est un «gant qui couvre tous les doigts ensemble, sauf le pouce», comme l’indique Lionel Meney dans son Dictionnaire français québécois.

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Celui-ci nous apprend d’ailleurs que le jésuite Paul LeJeune a écrit, vers 1636: «Mais il se faut armer de bonnes mitaines si on ne veut avoir les mains gelées.» Ce n’est donc pas d’hier que ce mot est employé au Canada français. Au fil des ans, le mot s’est enrichi de quelques sens. Au baseball, il désigne le gant du receveur. Au hockey, il s’agit d’un gant porté par le gardien de but. Et en cuisine, on ne saurait se passer des mitaines pour le four…

Le mot a aussi donné lieu à des expressions imagées. Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il est «une vraie mitaine», cela n’est pas très flatteur. Il est une «vraie lavette», un trouillard, un peureux. Et si on fait quelque chose «à la mitaine», on le fait «à la main» ou «d’une manière artisanale», tout simplement. Comme dans les recensements qui se faisaient «à la mitaine».

À quelques dizaines de centimètres au-dessus des mitaines, il peut être utile de porter une tuque. Le mot viendrait, selon Le Robert, de «toque», tout simplement. Il s’agit, pour les auteurs du prestigieux dictionnaire, d’un régionalisme propre au Canada qui désigne un bonnet de laine à bords roulés en forme de cône, surmonté d’un gland ou d’un pompon. Certains ouvrages mentionnent un emploi dans le Périgord, pour désigner un sommet, une colline ou encore un promontoire.

Évidemment, l’image de la tuque avec le pompon et les bords roulés, on la voit beaucoup plus chez le Père Noël ou dans les images des Patriotes de 1837 que sur la rue, de nos jours. Les tuques ont évolué. Elles sont rarement coniques, ont de moins en moins de gland ou de pompon, et se portent maintenant même en plein été. Une mode, certes, qu’alimentent plusieurs vedettes de cinéma ou de la chanson, elles-mêmes inspirées par la tendance rap ou hip hop.

La tuque a elle aussi son lot d’expressions colorées. Si on dit à quelqu’un d’«attacher sa tuque» ou même d’«attacher sa tuque avec de la broche», on veut bien sûr lui dire de se cramponner, de porter une attention toute particulière. Plus familièrement, on pourrait aussi bien dire: «attachez vos ceintures». Mieux encore, si on dit de quelqu’un qu’il «a la tuque drette», c’est qu’il est très en colère. Et si on «en a plein la tuque», c’est qu’on en a ras le bol, qu’on en a «plein le casque».

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Le mot tuque a aussi servi à créer un toponyme. Au Québec, la ville de La Tuque est maintenant une des plus vastes en superficie, au deuxième rang plus exactement, avec ses quelque 30 000 kilomètres carrés. Elle est située à environ 200 kilomètres au nord de Trois-Rivières, en bordure de la rivière Saint-Maurice.

À l’époque des trappeurs et des traiteurs de fourrure, la rivière Saint-Maurice était une voie de communication importante. Et de la rivière, le repère le plus reconnu pour La Tuque était une montagne plutôt pelée, ayant à son sommet quelques sapins. Son aspect semblable à celui d’un bonnet ou d’une tuque aurait influencé les coureurs des bois qui ont nommé l’endroit «La Tuque».

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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