Les syndicats obligés de dévoiler l’usage de leurs fonds

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Publié 12/12/2012 par Stéphanie Marin (La Presse Canadienne)

à 19h54 HNE, le 12 décembre 2012.

OTTAWA – Le projet de loi qui obligera les syndicats à dévoiler publiquement l’usage de leurs fonds a été adopté mercredi soir aux Communes 147-135, malgré les cris de l’opposition et les efforts de dernière minute de Québec pour faire repousser le vote.

Cinq députés conservateurs ont voté contre. Puisqu’il s’agissait d’un projet de loi d’initiative privée, le vote était libre et les députés fédéraux pouvaient agir à leur guise.

Quant aux députés de l’opposition présents en Chambre, ils ont tous voté pour faire rejeter le projet C-377.

Québec avait même tenté de faire reporter le vote final sur ce projet de loi.

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La ministre québécoise du Travail, Agnès Maltais, avait écrit mercredi à son homologue fédérale pour lui demander de suspendre le vote, en attendant de pouvoir la rencontrer pour discuter de l’impact du projet de loi et lui faire part de ses inquiétudes à ce sujet.

Mais la ministre du Travail, Lisa Raitt, avait indiqué que le vote aurait lieu tel que prévu.

«Bien sûr, je vais parler avec elle et la rencontrer lors de la nouvelle année sur plusieurs sujets. On a beaucoup à discuter», a précisé Mme Raitt. Une rencontre, soit, mais pas avant le vote.

Le Bloc québécois avait aussi demandé mercredi à la Chambre des Communes le consentement unanime des députés pour que le vote soit reporté, sans succès.

Plus tôt dans la journée, le ministre Maxime Bernier avait incité ses collègues de l’opposition à voter pour ce projet de loi «vertueux», qui promet plus de «transparence».

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«Je ne comprendrais pas un parti d’opposition de voter contre la vertu, contre ce projet de loi-là qui demande plus de divulgation pour que les Canadiens puissent savoir qu’est-ce qui arrive avec leur argent», a-t-il déclaré.

La mesure vise à obliger les syndicats à dévoiler comment ils utilisent leur argent, recueilli surtout par les cotisations de leurs membres. Pour les transactions de plus de 5000 $, ils devront alors notamment indiquer à qui l’argent est destiné, l’adresse du destinataire et une description de la transaction. Les salaires des dirigeants syndicaux devraient être divulgués ainsi que le temps qu’ils passent à effectuer des activités politiques et de lobbying.

Selon M. Bernier, le projet de loi est «pro-employés» et «pro-syndiqué», car les travailleurs veulent savoir ce qui advient de leur argent, soutient-il.

Parmi les conservateurs qui ont voté contre l’initiative législative du député conservateur Russ Hiebert, se trouvait son collègue Brent Rathgeber.

«Je ne vois pas pourquoi des gens qui ne sont pas membres des syndicats comme moi ont un intérêt quelconque à savoir comment les syndicats dépensent les cotisations», avait-il déclaré avant le vote.

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Les syndicats soulignent que dans plusieurs provinces, ils rapportent déjà cette information à ceux qui en ont besoin, c’est-à-dire leurs membres.

Selon le chef de l’opposition officielle néo-démocrate, Thomas Mulcair, le projet de loi C-377 ne survivra pas de toute façon à un examen par les tribunaux.

Il estime que ce projet est contraire à la Charte canadienne des droits et libertés et sera invalidé. Le Nouveau Parti démocratique (NPD) soutient que la loi violerait notamment la liberté d’association.

«Ce projet sera bien sûr défait par les tribunaux, mais en attendant, cela va nécessiter beaucoup de bureaucratie», a-t-il fait valoir.

Quant à la ministre Agnès Maltais, elle est d’avis que si le projet devient loi, il entraînera un sérieux déséquilibre dans le rapport de force entre les employeurs et les syndiqués.

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«Ce projet de loi constituerait donc un précédent contraire à la conception et à la gestion des relations de travail du Québec», avait aussi écrit la ministre Maltais dans sa lettre.

Le chef du Bloc québécois, Daniel Paillé, y voit un autre problème.

«C’est une tentative à notre avis, par la porte d’en-arrière, de faire en sorte que le gouvernement du Canada veut s’immiscer dans des règles de droit de travail, de relations de travail, de main-d’oeuvre, qui relèvent du Québec», a-t-il pris soin de souligner.

Selon le député néo-démocrate Alexandre Boulerice, C-377 va coûter cher et ne va rien régler.

«Ça signifie beaucoup plus de paperasse, beaucoup plus de bureaucratie. Ça signifie probablement $90 millions de frais pour les contribuables pour les trois premières années, si on se fie aux données et aux chiffres qui nous ont été donnés par l’Agence de revenu du Canada et les évaluations du directeur parlementaire du budget», souligne-t-il.

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Selon M. Boulerice, cette information supplémentaire ne va servir qu’à ceux qui veulent attaquer le mouvement ouvrier.

«Les conservateurs veulent que leurs amis des grandes entreprises aient accès à cette information pour qu’ils puisse nuire aux syndicats, ont déclaré les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada, dans leur campagne contre le projet de loi.

La loi du Michigan

Par ailleurs, les partis d’opposition fédéraux mettent en garde contre la possibilité, au Canada, de l’avènement d’une loi sur le «droit au travail» semblable à celle adoptée au Michigan mardi.

Des milliers de résidants de cet État ont manifesté mardi alors que la première des deux lois conçues pour affaiblir le pouvoir des syndicats a été adoptée à la Chambre des représentants du Michigan, dominée par les républicains.

Selon les opposants à la loi, y compris le président américain Barack Obama, la loi ne donne aux travailleurs que le droit de travailler pour un salaire moindre.

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Le député conservateur Pierre Poilièvre, de la région d’Ottawa, a déjà réclamé de nouvelles règles permettant aux syndiqués de ne pas avoir à payer de cotisations.

Cette proposition est similaire à la loi adoptée au Michigan et dans 23 autres États au sud de la frontière, ainsi qu’à un projet de loi d’initiative parlementaire déposé plus tôt cette année par le député conservateur d’arrière-ban Russ Heibert.

Son projet de loi sur la transparence financière, qui faisait l’objet de débats mardi aux Communes, avant de se diriger sans doute vers un vote final, mercredi, obligerait les syndicats à dévoiler les montants d’argent consacrés à des activités politiques.

La ministre du Travail, Lisa Raitt, a déclaré que des lois semblables existaient déjà ailleurs dans le monde, notamment au Royaume-Uni et en Australie.

En Ontario, le Parti progressiste-conservateur de Tim Hudak propose lui aussi des lois qui rendraient le marché du travail plus «flexible» et, entre autres, limiteraient le pouvoir des syndicats de la fonction publique.

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Selon Alexandre Boulerice, porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière de travail, la loi du Michigan aura tout d’abord un impact sur les travailleurs de cet État, mais pourra ensuite s’étendre, telle une onde, dans d’autres juridictions, y compris au Canada.

Aux yeux du chef libéral intérimaire Bob Rae, la formule Rand pourrait être la prochaine cible au Canada. Cette formule, adoptée dans les années 1940, impose le paiement de cotisations dans les entreprises syndiquées, et ce sans égard au statut syndical d’un employé.

M. Poilièvre dit avoir entendu des commentaires de fonctionnaires mécontents de la façon l’Alliance de la fonction publique du Canada gère ses cotisations.

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