50 ans de poisson au mercure chez des Autochtones de l’Ontario

10 000 tonnes de mercure dans la rivière Wabigoon-English dans les années 1960-1970
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Publié 13/08/2018 par Isabelle Burgun

Le nom de Grassy Narrows évoque une catastrophe écologique: la contamination au mercure d’une rivière. Il évoque surtout un drame humanitaire avec ses répercussions sur la santé physique et mentale dans cette communauté autochtone du nord de l’Ontario.

Une récente étude rapporte les effets de la consommation de poissons contaminés, base alimentaire de la Première Nation Asubpeeschoseewagong, pendant plus de 50 ans.

Diabète, maladies chroniques, troubles neuropsychologiques, troubles intestinaux, déficiences auditives et visuelles, taux de suicide élevé et troubles de santé mentale…

Seulement 20% en bonne santé

Sans pouvoir affirmer que tout est relié à la contamination, «seulement 20% des personnes interrogées à Grassy Narrows jugent leur santé comme étant bonne, contre 40% des autres communautés ontariennes et 60% des Canadiens non autochtones», relève Donna Mergler, professeure au Département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal et auteure principale de l’étude.

Plus de 70% des membres de la communauté ont accepté de participer à l’enquête — soit 421 adultes de 18 à 80 ans — dont l’un des objectifs était de prévoir les besoins futurs de santé.

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Les chercheuses se sont particulièrement attardées à la consommation de poisson, indicateur de l’exposition au mercure. «Lorsque le père était un guide de pêche, le niveau d’exposition était alors quatre fois plus élevé que pour les autres. Manger du poisson contaminé lors de l’enfance, et donc, lors du développement physique et mental, renforce aussi les dommages sur la santé», soutient la Pre Mergler.

L’experte de l’exposition au mercure et de ses effets sur la santé note aussi une forte prévalence des maladies chroniques et relève même des conséquences socioéconomiques. «Les enfants qui ont mangé fréquemment des poissons contaminés ont connu moins de succès scolaires et cela a donc été un déterminant pour la suite des choses.»

Dryden Chemicals

L’usine de pâtes et papiers Dryden Chemicals a relâché dans les années 1960-1970 près de 10 000 tonnes de mercure dans la rivière Wabigoon-English, où la communauté voisine tirait l’essentiel de son alimentation.

Dès 1975, des diagnostics de la Maladie de Minamata — du nom des milliers d’habitants de la Baie de Minamata, au Japon, empoisonnés au mercure — avaient été posés, mais la reconnaissance du problème a tardé et c’est seulement depuis 1985 que certains membres de la communauté reçoivent un dédommagement pour les torts subis.

Une enquête du Toronto Star l’an dernier avait mis à jour le problème d’empoisonnement à Grassy Narrows — une série d’articles qui s’est mérité un prix de journalisme d’enquête. Le problème affecte aussi d’autres communautés autochtones, telles que Whitedog (Wabaseemoong) où la rivière English a également été empoisonnée au mercure.

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Le gouvernement s’est engagé à trouver un moyen de décontaminer le cours d’eau, mais cela pourrait prendre plus d’une décennie. Il y a deux ans, les niveaux de mercure y étaient encore de près de 20 fois la norme.

Longue histoire, long rapport

La nouvelle recherche est riche en informations dramatiques, commente le professeur au Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval, Pierre Ayotte.

«C’est clair en regard des résultats qu’il y a de nombreux problèmes de santé au sein de cette communauté. C’est comparable ou pire à d’autres communautés autochtones. Les problèmes qui sont décrits ne sont pas uniques, mais la détresse semble plus aiguë à Grassy Narrows», détaille celui s’est penché sur la santé des Inuits et des Cris.

Il relève toutefois qu’en raison du nombre élevé de résultats du questionnaire, cela apparaît difficile de démontrer hors de tout doute la causalité du mercure. «Oui, l’exposition au mercure peut être un facteur de ces problèmes, mais cette étude est surtout descriptive. Elle montre plus les problèmes qu’elle ne permet de comprendre la place du mercure versus d’autres facteurs», soutient le Pr Ayotte.

Une Maison du mercure

Cette étude apporte toutefois de nombreuses pistes de solutions, comme la création d’une clinique spécialisée (la «Maison du mercure»), un centre de santé intégrée, adapté pour les personnes contaminées.

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Elle souligne aussi que bien qu’au sein des communautés, l’alimentation traditionnelle — donc la consommation de poisson — apporte d’habitude plus de bénéfices que sa possible contamination, ici, ce n’est pas le cas. «Les poissons sont généralement une bonne source de protéines. Ici, qu’est-ce qu’il reste? Cela ajoute encore à la détresse vécue à Grassy Narrows», sanctionne le chercheur.

Auteur

  • Isabelle Burgun

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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