Victoire de la majorité bruyante

Donald Trump
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 09/11/2016 par François Bergeron

En prévision d’une victoire d’Hillary Clinton, j’avais échafaudé une belle théorie à l’effet qu’aux États-Unis la «majorité silencieuse» est plutôt progressiste ou libérale, appartenant ou s’identifiant à «l’élite» et ayant élu deux fois Barack Obama.

Gros travail de réécriture ce matin.

C’est Richard Nixon qui avait inventé ce terme de «majorité silencieuse» vers la fin des années 1960, pour décrire son électorat conservateur inquiet face à la contre-culture, l’émancipation des femmes, la révolte des noirs et les manifestations contre la guerre du Vietnam.

Aujourd’hui, le pays étant plus divisé que jamais en plein milieu, on ne peut plus parler en termes de majorité et de minorité. Et, aussi improbable que ça puisse paraître, c’est Donald Trump qui représente la plèbe mécontente, impatiente, impolie, bruyante, dont les problèmes et les griefs ont été ignorés ou sous-estimés par la classe politique, médiatique, académique et financière.

Ce «mouvement» – comme l’a justement décrit le vainqueur, cette nuit, dans son discours inhabituellement magnanime – n’est pas uni sous un programme cohérent: Trump, qui a capitalisé autant sur ses défauts spectaculaires que sur ses rares qualités, n’est pas cohérent. Les Républicains non plus. Mais ils n’ont pas tort sur toute la ligne.

Publicité

La moitié du pays qui a voté pour Clinton n’est pas monolithique non plus, et les Démocrates se trompent parfois lourdement (et ils ont autant de difficultés que les Républicains à l’admettre).

Parmi ceux qui ont voté pour le milliardaire populiste, certains s’inquiètent de l’endettement du pays. Trump aussi, officiellement, même s’il a critiqué les taux d’intérêts à zéro qui masquent le problème et qu’il propose d’importants investissements dans les infrastructures (bonjour Justin Trudeau et Kathleen Wynne).

D’autres ragent contre l’immigration qu’ils perçoivent comme étant incontrôlée, même si leur pays a bel et bien des frontières et choisit déjà la plupart de ses immigrants (ce qui est parfaitement légitime). Va-t-on vraiment expulser les millions d’illégaux vivant actuellement aux États-Unis? Avant ou après la construction du fameux mur à la frontière du Mexique?

Plusieurs citoyens sont fatigués des guerres tous azimuts, mais en même temps frustrés des limites de l’action américaine dans le monde: c’est une contradiction, que Clinton ne paraissait pas pressée de résoudre. Sur la scène internationale, Trump ferait bien de s’inspirer de la doctrine Obama: «don’t do stupid shit».

Le président-élu a promis de repenser le libre-échange et les politiques qui dématérialiseraient des emplois traditionnels: le thème central de sa campagne. On verra ce que ça donnera. Le Canada pourrait en pâtir, bien qu’il pourrait profiter d’autres initiatives, notamment dans le secteur de l’énergie.

Publicité

Donald Trump va-t-il récompenser ou ignorer ses électeurs «conservateurs sociaux» (une minorité selon moi) qui espèrent recriminaliser l’avortement, refouler le mariage gai, bloquer toutes les tentatives de contrôler les armes à feu, n’opposer que la répression aux tensions raciales?

En envisageant une victoire décisive de Clinton, j’espérais que ces chialeux rétrogrades finiraient par disparaître ou lâcher le Parti républicain, lui permettant enfin d’opposer une alternative crédible aux Démocrates. On est soudainement dans une toute autre dynamique, aux conséquences incertaines.

Notons finalement que les Républicains contrôlent désormais la Maison-Blanche et les deux chambres du Congrès, de même que les deux tiers des États. Donald Trump, qui se targue d’être un «deal maker» hors pair, sera dans son élément, alors qu’Hillary Clinton aurait fait face à une obstruction de tous les instants. C’est positif.

* * *

À la fois pour le plaisir et le travail, je lis régulièrement une foule d’éditorialistes canadiens, américains et européens, anglos et francos, de droite et de gauche, sur papier ou en ligne. Certains d’entre eux souhaitaient une victoire de Donald Trump mais n’y croyaient pas. À mon souvenir, un seul de ces chroniqueurs prédit (et souhaite) cette victoire depuis le début, arguments rationnels à l’appui: Conrad Black dans le National Post. Respect.

Publicité

Aussi dans L’Express en 2016:

12 décembre: Climat: purge des alarmistes à Washington?

28 novembre: Trump ne sera pas un président «normal»

15 novembre: Les États-Désunis d’Amérique

15 novembre: Trump: une nouvelle dynamique à apprivoiser

11 octobre: Une élection pour les livres d’histoire

Publicité

27 septembre: Débat Trump-Clinton non concluant

29 juillet: Les Démocrates doivent reprendre le flambeau du «changement»

22 juillet: Bonne soirée pour les femmes et les LGBT à la convention républicaine

20 juillet: Les Américains sont mûrs pour le multipartisme

4 mai: Trump vs Clinton: restons calmes

Publicité

15 mars: Et si Trump n’était pas une anomalie, mais le premier d’une série?

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur