Vérification des faits: entre optimisme et incertitudes

Des réponses et des textes toujours plus rapidement

Un obstacle: les grands médias veulent des réponses rapides et des textes rapides.
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Publié 29/07/2017 par Pascal Lapointe

En un an, le mouvement journalistique de vérification des faits a progressé sur tous les plans, suscitant l’envie des journalistes eux-mêmes, mais aussi de chercheurs qui tentent de mieux comprendre la façon dont se propagent les fausses informations, et de développeurs qui rêvent de technologies capables de corriger la déclaration d’un politicien presqu’en temps réel.

«Ce fut une incroyable année pour la vérification des faits», a déclaré le professeur de journalisme Bill Adair, de l’Université Duke (Caroline du Nord). Et il ne pensait pas seulement à Donald Trump, dans son allocution d’ouverture du 4e congrès international sur le «fact-checking» (Global Fact 4) qui avait lieu du 5 au 7 juillet à Madrid, en Espagne.

Quel impact?

Mais en dépit de l’optimisme face à la croissance, il subsiste des incertitudes.

Par exemple, si la recherche universitaire s’est plusieurs fois intéressée à la façon dont une fausse information se propage par les réseaux sociaux, on dispose de peu de données sur l’impact d’un travail de vérification, a déploré Alexios Mantzarlis, coordonnateur de l’International Fact-Checker Network (IFCN), le réseau qui organise les congrès Global Fact.

«Il faudrait mesurer notre impact aussi souvent que nous mesurons notre audience», renchérit Bill Adair. «Mieux mesurer l’impact pourrait nous aider à comprendre comment rejoindre les audiences les plus difficiles à atteindre», ajoute Guillermo Solovey, spécialiste des biais de cognition à l’Université de Buenos Aires.

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Un effort international pour construire une base de données de tout ce qui se fait en «fact-checking» pourrait, à cet égard, être précieux, selon Emeric Henry, économiste à Sciences Po (Paris), dont les recherches portent en ce moment sur l’impact de la vérification des faits sur le comportement politique.

Journalistes et universitaires

En entrevue le mois dernier, le journaliste canadien Craig Silverman, spécialiste des «fausses nouvelles», nous parlait lui aussi du potentiel de collaboration entre journalistes et chercheurs.

Le travail journalistique de vérification des faits est déjà, en plusieurs endroits, le résultat d’alliances entre ces deux univers: l’Université Duke, à travers son Reporters Lab que dirige Bill Adair; FactCheck.org, créé à l’Université de Pennsylvanie; le projet français CrossCheck, créé par la coalition First Draft News, qui rassemble des partenaires universitaires et médiatiques; et l’IFCN, qui est chapeautée par l’Institut Poynter, chef de file mondial en enseignement, recherche et innovation sur le journalisme.

En juin, la Fondation Knight annonçait qu’elle allouait un million de dollars à 20 projets «destinés à combattre le flot de désinformation». Parmi eux, plusieurs visent à analyser l’audience des désinformateurs, mais aussi la façon dont des efforts de vérification peuvent les contrer.

Facebook et Google

Par ailleurs, bien que la collaboration lancée en décembre entre Facebook et différents médias réjouisse, et bien que Google investisse dans des technologies et ait ajouté l’étiquette «Fact Check» à son fil de nouvelles, une certaine ambivalence demeure autour de l’influence de ces géants dans la désinformation.

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Au terme de l’atelier du vendredi, pendant lequel Áine Kerr, directrice des partenariats journalistiques chez Facebook, et Philippe Colombet, directeur des partenariats stratégiques en information et édition chez Google, avaient présenté leurs initiatives respectives, Alexios Mantzarlis leur a demandé s’ils seraient prêts à partager leurs données, afin de mieux mesurer ce qui fonctionne et ne fonctionne pas en vérification des faits. Aucun des deux n’a voulu s’avancer.

La question est d’autant plus importante que les vérificateurs ont peu de poids économique. Selon un sondage pré-congrès rempli par les participants, le tiers des projets représentés à Madrid roulent sur un budget annuel de moins de 20 000 $, et la moitié, de moins de 40 000 $.

Même ceux qui sont soutenus par un grand média sont confrontés au fait qu’ils ne contribueront pas à renflouer ce média. «Le problème des grands médias», note Aaron Sharockman, directeur de PolitiFact, «est qu’ils veulent des réponses rapides et des textes rapides».

Il invite les participants à se rappeler que leur travail est de plus en plus populaire — PolitiFact a doublé son nombre de pages vues en 2016 — et qu’à ce titre, «il a une valeur».

L’automatisation?

Quant à l’automatisation de la vérification, en dépit de l’optimisme professé — c’est «la prochaine frontière», selon Bill Adair — elle dépend encore, dans chaque projet, d’humains capables de faire des choix éditoriaux.

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Le Reporters Lab a par exemple testé, pendant les débats entre les candidats aux présidentielles américaines, une application, FactPopUp, disponible sur Chrome, qui fait apparaître le verdict de PolitiFact par-dessus l’écran du débat, avec hyperlien vers l’article qui analysait une affirmation semblable à celle faite à l’instant par le candidat.

Un tel outil nécessite toutefois deux conditions préalables: qu’un journaliste de PolitiFact s’occupe d’ajouter ces liens au fur et à mesure que progresse le débat… et le fait que PolitiFact dispose, après 10 ans, d’une énorme banque de textes pour réagir à toutes sortes d’affirmations «prévisibles» des candidats.

Faux vérificateurs

Share The Fact , une autre création du Reporters Lab, financée en partie par Google, permet aux médias «accrédités» de faire davantage circuler leurs textes entre eux et à travers les réseaux sociaux. Mais l’accréditation dépend, là aussi, d’humains.

Un obstacle pointe à ce sujet à l’horizon, note Bill Adair: des gouvernements et des organismes de propagande commencent à prétendre être des vérificateurs de faits. «Nous devrons être vigilants, et dénoncer.»

«Ce fut une année de croissance», a répété Alexios Mantzarlis dans ses remarques de clôture, «mais celle qui s’en vient pourrait être un moment-clef», dans la définition de l’impact du travail des vérificateurs, sur leur public, sur l’audience la plus réticente à ce qui contredit ses opinions, et sur les géants de l’Internet.

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Auteur

  • Pascal Lapointe

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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