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Justin Trudeau Premières Nations
Le premier ministre Justin Trudeau à une cérémonie de femmes autochtones devant le Parlement l'an dernier.
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Publié 25/10/2016 par François Bergeron

Justin Trudeau célébrait la semaine dernière le premier anniversaire de son élection à la tête d’un gouvernement majoritaire. Selon divers sondages, la lune de miel avec les Canadiens se poursuit: si des élections avaient lieu aujourd’hui, les gens qui voteraient pour lui seraient encore plus nombreux et les Libéraux récolteraient encore plus de sièges au Parlement.

Il est vrai que les Conservateurs et les Néo-Démocrates n’ont que des chefs intérimaires. Une demi-douzaine de députés sont déjà en lice pour remplacer Rona Ambrose dans sept mois. Au NPD, c’est encore le calme plat: on n’élira le successeur de Tom Mulcair que dans douze mois. Elizabeth May a failli quitter le Parti vert cet été. Personne ne se souvient qui dirige le Bloc québécois. Bref, l’opposition est faible.

Pire, un système électoral à choix hiérarchisés – le seul envisagé par les Libéraux pour remplacer notre système uninominal actuel – leur donnerait encore plus d’élus. Cette réforme ne serait d’ailleurs plus une priorité pour le gouvernement, qui a compris qu’elle divise les Canadiens et risque de l’entraîner en terrain miné, les Conservateurs réclamant un référendum et le NPD la proportionnelle pure.

Malgré la défaite du 19 octobre 2015, qu’on aime attribuer à la personnalité abrasive de Stephen Harper, les Conservateurs peuvent compter sur une base d’environ 30% des Canadiens. Ils sont souvent les seuls au Parlement à voter contre les projets libéraux, Justin Trudeau pouvant alors se targuer de parler au nom des deux tiers de la population. Pour renverser la vapeur ou imposer d’autres priorités, le prochain chef conservateur devra être un excellent communicateur, en plus d’être de son temps.

La popularité indéniable de notre premier ministre soleil, friand d’égoportraits dans les contextes les plus exotiques, contraste avec des perspectives économiques qui se sont assombries depuis un an. Pas catastrophiques, mais qui remettent en question la théorie des déficits censés stimuler la croissance, ainsi que la nouvelle définition élastique d’«infrastructures» couvrant presque tout ce que fait le gouvernement.

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Le ministre des Finances, Bill Morneau, a d’ailleurs mentionné en fin de semaine que les emplois précaires étaient là pour rester, comme on dit qu’on doit maintenant se considérer chanceux quand la croissance annuelle dépasse 1% ou qu’il est désormais «normal» de subir un attentat terroriste de temps en temps.

En campagne électorale, le Parti libéral avait damé le pion au NPD en proposant de «modestes» déficits de 10 milliards $ pour chacune des trois premières années de son mandat. Mais c’est plutôt 30 milliards $ dès la première année, et la deuxième et la troisième, qu’il va accumuler – pour régler des problèmes immédiatement, assure le gouvernement; avec pour conséquence d’hypothéquer l’avenir, accuse l’opposition. Historiquement, tant au fédéral qu’au provincial, les déficits sont la norme, pas l’exception: si ça faisait des merveilles, on le saurait.

Et comme dirait Donald Trump, dans un rare moment de lucidité, un endettement à hauteur de 20 trillions $ (100% du PIB) serait pardonnable s’il avait donné aux Américains des infrastructures, des écoles et des services publics de première classe.

Jusqu’à maintenant, le bilan de Justin Trudeau est plus symbolique que réel: le Canada «de retour» sur la scène internationale, plus accueillant pour les réfugiés, plus équitable envers les minorités, plus écolo…

Le cabinet paritaire hommes-femmes n’empêche pas les petits scandales de dépenses douteuses (déménagements de conseillers, limousines et photos de ministres) ni la concentration du pouvoir au bureau du PM. Les nouveaux processus de nomination des sénateurs et des juges tiennent eux aussi davantage du spectacle que de la démocratie ou de la justice. Le même sort attend peut-être la réconciliation avec les Premières Nations et l’enquête sur leurs femmes tuées ou disparues.

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Les Conservateurs ont reconnu leur erreur et ont applaudi, comme tout le monde, au rétablissement du formulaire long et obligatoire de recensement. Par contre, la fameuse «libération» des scientifiques n’a rien révélé puisqu’ils n’étaient «muselés» que dans la propagande des Libéraux et des Néo-Démocrates.

Comme promis, les Libéraux ont retiré nos avions participant aux bombardements contre Daech… pour augmenter notre présence militaire sur le terrain, en soutien aux Kurdes dans le Nord de l’Irak. Les deux initiatives se valent. Gageons qu’on dira la même chose de la loi anti-terrorisme libérale que produira l’examen de celle que les Conservateurs avaient adoptée.

Même neutralité du côté du traitement des contribuables: légères baisses d’impôts par ci, légères hausses par là, abolition du fractionnement du revenu pour les couples, augmentation des prestations pour enfants, abaissement de la limite des cotisations au compte libre d’impôts, retour de 67 à 65 ans de l’âge officiel de la vieillesse, assouplissement des critères de l’assurance-emploi…

On maintient aussi les orientations de l’ancien régime en matière de cibles d’émissions de gaz à effet de serre, de traités de libre-échange et de plafonnement des transferts fédéraux en santé. La tarification des émissions de gaz à effet de serre est originale (norme fédérale, revenus provinciaux), mais ici aussi on est dans le domaine du spectacle, pas du réel.

Le mandat libéral est encore jeune. Justin Trudeau ne s’est pas encore planté; il se débrouille même plutôt bien, carburant à l’adulation de ses fans. Sur l’économie, le multiculturalisme, la sécurité, les relations fédérales-provinciales et les autres enjeux importants, les Canadiens vont prendre tout leur temps avant de porter un vrai jugement.

Le premier ministre Justin Trudeau avec des membres de son Conseil jeunesse.
Le premier ministre Justin Trudeau avec des membres de son Conseil jeunesse.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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