Rodin: la main de l’homme

Musée des beaux-arts de Montréal

penseur, Alliance française
Le célèbre Penseur au centre d’une des salles du MBAM consacrées au sculpteur Auguste Rodin.
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Publié 18/08/2015 par Nathalie Prézeau

Depuis les jeunes néophytes qui en sont à leur première exposition jusqu’aux initiés qui ont visité plusieurs fois le musée Rodin de Paris, chacun trouve son compte dans Métamorphoses: Dans le secret de l’atelier de Rodin, l’exposition présentée cet été et jusqu’au 18 octobre au Musée des beaux-arts de Montréal.

Grâce à une présentation thématique des plus instructives, jamais condescendante, qui nous permet de faire le plein de beauté, tout en ajoutant à notre appréciation de l’art de la sculpture en général, et du rôle que Rodin a joué pour le moderniser.

«Cela relève du miracle: qu’un rocher informe ait atteint une perfection telle que la nature ne la modèle que si rarement dans la chair», disait Giorgio Vasari (un des premiers historiens de l’art). Il ne parlait pas de Rodin, mais de Michel-Ange, dont il était contemporain.

Trois cents ans plus tard, on faisait tout autrement le même compliment à Rodin… Lorsqu’il expose L’âge d’airain au Salon des Artistes français de 1877 à Paris, il est accusé d’avoir moulé sa figure sur nature. Ce scandale a évidemment l’effet d’assurer sa réputation lorsqu’il est prouvé que la réalisation parfaite est bel et bien due à son seul talent.

La main de Dieu ou celle de l’homme?

Michel-Ange disait de sa Pietà: «J’ai vu un ange dans le marbre et j’ai seulement ciselé jusqu’à l’en libérer.» Bref, pas de quoi s’énerver, la beauté de l’oeuvre relèverait de l’intervention divine…
Moins modeste (et plus moderne), Rodin affirme que «c’est l’artiste qui transforme la matière, modèle, donne force et vie aux figures».

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Étant donné la réaction incrédule du public face à la perfection de son oeuvre, il n’est pas étonnant que Rodin ait été séduit par le principe non finito que Michel-Ange explorait déjà dans les années 1500. Cette technique laissant émerger le sujet de la base, typique de Rodin, était la meilleure façon de rappeler que la métamorphose du matériau passe par la main de l’artiste.

Dans le même esprit, Rodin laissait volontairement les coutures des moules apparentes sur ses plâtres. D’ailleurs, sur la page Rodin – Métamorphoses du site du MBAM, on trouve un clip sur l’assemblage du plâtre L’Homme qui marche, qui est arrivé en quatre morceaux au Musée: terrasse, deux jambes et torse!

Chairs vivantes et sensuelles

Ce n’est pas par hasard si l’on ressort de cette exposition fasciné par l’expressivité du corps humain. Rodin a consacré sa vie entière à l’expérimentation de son art pour échapper à la tradition des classiques sculptures.

«Comment décrire cette chair qui me rend si attentif?», aurait écrit Rodin sur un dessin. Dans la salle consacrée au thème Rodin et ses modèles, on apprend que lorsqu’il pouvait se le permettre, il aimait s’entourer de modèles dont il observait les moindres mouvements, aux aguets, se dépêchant de saisir un geste, une expression, sur papier ou dans la glaise, sans quitter son sujet du regard. «C’est la vie qui les anime qui me vaut d’être connu», expliquait-il.

En simplifiant les formes, sculptant des torses ou des corps en action, il renforçait l’impression de vitalité du corps humain. Par l’originalité des poses de ses personnages, il croquait des émotions universelles.

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Le long travail d’exploration qu’il a fait pour créer La Porte de l’Enfer, une commission qui fût éventuellement annulée, ne fut pas en vain. Il lui a fourni une banque de quelque 200 figures et groupes dont il a tiré des pièces magistrales telles Le Penseur et Le Baiser. Il lui a aussi procuré un moyen d’explorer la composition comme nul autre, recontextualisant des sujets, repensant les assemblages. (Un bronze de sa Porte de l’Enfer se trouve maintenant dans les jardins du musée Rodin à Paris, et l’on trouve une version en plâtre au Musée d’Orsay.)

Points de repère

L’exposition explique très bien les étapes qui aboutissent aux oeuvres d’art: depuis la création du maître en argile grasse jusqu’à l’épreuve en plâtre en passant par le moulage d’une matrice. (L’exposition comprend un très grand nombre de plâtres parmi sa collection de 171 sculptures.) Puis, si l’artiste a les fonds suffisants, il y a la traduction de l’oeuvre en bronze par des fondeurs.

Pour le marbre, c’est encore plus long et fastidieux. Des placeurs de «points de repère» dégrossissent d’abord le bloc, puis des sculpteurs achèvent le travail, sous l’oeil du maître. On apprend que Rodin ne prenait les outils qu’exceptionnellement.

Un regroupement de photos prises par le photographe Eugène Druet dans l’atelier de Rodin prend une dimension encore plus intéressante quand on remarque sur l’une des photos que Rodin en avait installé un semblable dans son studio.

Rodin vu par Denys Arcand et Adad Hannah

Une belle surprise nous attend à la fin du circuit: l’installation Les Bourgeois de Vancouver conçue par l’artiste photographe et vidéaste Adad Hannah, avec le cinéaste Denys Arcand.

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Dans une petite salle sombre, sur six écrans verticaux, six citoyens nous racontent ce qui les a poussés à accepter le travail rémunéré par un mystérieux mécène, consistant à incarner sur le parvis de la Vancouver Art Gallery l’oeuvre de Rodin Les Bourgeois de Calais. Le résultat est tout aussi fascinant que la démarche.

La série de photos Unwrapping Rodin du jeune New Yorkais, également présentées dans cette salle, donne aussi à réfléchir. Figurant différentes séquences du déballage d’une étude en bronze d’un des Bourgeois de Calais, les photos revisitent le sujet. Un simple ajout de matériaux vulgaires comme le plastique et le «masking tape» suffit à réinventer la beauté de la sculpture.

En quittant cette exposition, on jette un regard nouveau sur les autres sculptures rencontrées çà et là dans les autres salles du MBAM. (Ne manquez pas de voir comment la sculpture de Napoléon sur son cheval fait écho aux toiles qui le flanquent de part et d’autre!)

L’exposition est produite par le MBAM en collaboration avec le musée Rodin de Paris (qui rouvre ses portes le 12 novembre suite à trois ans de rénovation). Elle sera mise en tournée par le MBAM au Virginia Museum of Fine Arts du 21 novembre 2015 au 13 mars 2016, puis au Peabody Essex Museum, du 16 mai au 5 septembre 2016.

Pendant que vous y êtes

Rodin a dit des femmes qu’elles «marchent comme des chefs-d’oeuvre». Il est donc approprié de vous proposer une balade à la sortie du Musée, histoire de mettre ce beau chef-d’oeuvre en marche… jusqu’en haut du Mont-Royal, 30 minutes plus loin.

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La marche commence bien. Une bonne section de l’avenue du Musée faisant face à l’entrée principale du MBAM est piétonnière et offre une installation ludique jusqu’à la fin de l’été.

Cette année, on y circule dans un labyrinthe de fleurs peintes à même le sol. Il est bordé du Jardin des sculptures comprenant 22 oeuvres, dont Claudia, la vache tranquille de Joe Fafard (celui-là même qui a fait les vaches du quartier financier de Toronto) et le Soleil de Dale Chihuly, devant le Pavillon Michal et Renata Hornstein. (On trouve sur YouTube le clip Chihuly: Montage de l’oeuvre Le Soleil de l’assemblage en timelaps des 1200 morceaux de verre soufflé de cette oeuvre qui est rangée en hiver pour la protéger.)

Pas le temps d’aller voir l’exposition spectaculaire de David Altmejd au site du Musée d’art contemporain de Montréal jusqu’au 13 septembre? Ne manquez pas l’ange grandiose de cet artiste natif de Montréal, qui observe le commun des mortels du haut de son socle devant la Salle Bourgie au coin de Sherbrooke et l’avenue du Musée.

Puis, marchez jusqu’au bout de l’avenue du Musée, montez les escaliers, et tournez à droite sur l’avenue des Pins. Poursuivez au-delà du Redpath Crescent et vous verrez un petit chemin pavé menant au Chemin Olmsted. Ce chemin ponctué d’escaliers vous mènera en 500 marches jusqu’au Chalet du Mont-Royal, d’où vous aurez une vue prenante sur la ville.

Vous avez un petit creux? Vous pouvez déjeuner chez Eggspectation, un endroit amusant servant de généreux déjeuners à longueur de journée (1313 de Maisonneuve ouest), ou encore vous accrocher un super sandwich à la cafétéria urbaine de Anton & James (1414 Stanley) et aller le manger dans le joli jardin caché de l’église presbytérienne St-Andrew et St-Paul (à l’ouest du Soleil de Chihuly, accessible par un petit portail donnant sur la rue Sherbrooke).

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Par curiosité, j’ai demandé à ma consoeur montréalaise Josée Noiseux, auteure du guide Humeurs de Paris et blogueuse des grandes villes, quelle serait sa recommandation pour des amateures d’art habillées pour la marche et désirant prendre une petite bouchée sympa, mais sans prétention. Elle m’a fait découvrir le petit Café Vasco Da Gama (1472 rue Peel), une jolie épicerie fine/cafétéria portugaise au menu bien appétissant.

Renseignements

Musée des beaux-arts de Montréal
1-800-899-6873

Où: L’entrée principale est au 1380, rue Sherbrooke Ouest, Montréal

Quand: L’exposition Métamorphoses se poursuit jusqu’au 18 octobre 2015. Le musée est ouvert tous les jours de 10h à 17h jusqu’au 7 septembre (puis il ferme le lundi sauf durant l’Action de grâce). Il est ouvert jusqu’à 21h le mercredi, pour les grandes expositions seulement.

Combien: (incluant collections et grandes expositions) 20$/31 ans et plus; 12$/13-30 ans, gratuit pour 12 ans et moins. Le mercredi soir, 10$ seulement, pour visiter les grandes expositions.

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