Qu’est-ce que la liberté religieuse a de si spéciale?

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Publié 25/02/2013 par François Bergeron

Comme promis à ceux que ça intéresse, lors de la dernière campagne électorale, le premier ministre Stephen Harper a annoncé la semaine dernière la création, à l’intérieur du ministère des Affaires extérieures, d’un «Bureau de la liberté de religion».

Cette agence, dotée d’un budget annuel de 5 millions $ et dirigée par un jeune, dynamique et obscur universitaire, Andrew Bennett, promu au rang d’ambassadeur, surveillera et critiquera les pays où les minorités religieuses ont la vie dure, soit parce qu’elles représentent un contre-pouvoir à un régime totalitaire, soit plus simplement en raison de l’intolérance de la majorité qui adhère à une religion rivale…

Ces pays sont nombreux, car toutes les religions sont rivales. Musulmans vs animistes vs chrétiens en Afrique. Hindous vs sikhs vs musulmans dans le sous-continent indien. Catholiques vs protestants vs juifs en Europe. Chiites vs sunnites vs alaouites vs druzes vs ahmadis vs juifs vs chrétiens dans le monde arabe… Quand aux mennonites, mormons, témoins de Jéhovah, falun gong et autres wiccans, scientologues ou naturistes, ils ont aussi leurs histoires de persécution à raconter.

Loin de promouvoir les valeurs canadiennes dans le monde, cette initiative, aux objectifs purement électoralistes, permet aux chicanes étrangères d’infecter le débat politique canadien. Il y a bien sûr quelques chrétiens bien de chez nous qui s’inquiètent de ce que leur église ne puisse pas évangéliser les sauvages n’importe où et n’importe comment, mais il y a surtout des immigrants entretenant telle ou telle allégeance religieuse qui voient là une occasion de régler des comptes avec des éléments de la société qu’ils ont fuie.

Ces gens-là apprécient le geste du gouvernement et auront l’occasion de l’en remercier aux prochaines élections. C’est du moins le calcul que font les Conservateurs. Ça pousse les mêmes boutons psychologiques que l’actualisation et la promotion de nos liens historiques avec la monarchie britannique, une autre lubie de Stephen Harper.

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Les vrais démocrates qui souhaiteraient un débat politique purement rationnel seront déçus, mais Dieu sait (sans jeu de mots ici) que Libéraux et Néo-Démocrates cherchent eux aussi à toucher d’autres fibres émotives chez certains électeurs.

Soulignons que les gouvernements qui persécutent des minorités religieuses ou qui sont complices ignoreront superbement les remontrances canadiennes, comme ils ignorent celles de l’agence semblable créée aux États-Unis il y a 14 ans, sous Bill Clinton, et dont on n’entend jamais parler, Dieu merci (toujours sans jeu de mots).

Nous sommes tous pour la vertu et pour la liberté religieuse, comme pour la liberté d’expression, de mouvement et d’association en général. La Charte canadienne des droits et libertés est assez explicite et devrait suffire pour éclairer les interventions canadiennes à l’étranger. Nous condamnons la violation de tous les droits fondamentaux, pas seulement celle des libertés religieuses.

Or, selon Stephen Harper, «la liberté de pratiquer sa religion selon sa propre conscience détermine notre personnalité et constitue donc le fondement de toutes nos libertés».

C’est vrai dans les sociétés primitives, pas dans les sociétés modernes.

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La religion étant une invention de la conscience – pour ne pas dire le produit d’une imagination fertile ou d’un esprit désemparé face aux mystères de l’univers – ce serait plutôt la liberté de s’informer et de penser (la liberté d’opinion) qui serait le fondement de toutes nos libertés, et même avant cela le droit à la vie et à la sécurité de la personne. On peut difficilement s’exprimer (la liberté d’expression) ou aller où bon nous semble (la liberté de mouvement) ou rencontrer qui on veut (la liberté d’association) sans y avoir préalablement réfléchi (la liberté d’opinion).

Dans le monde moderne, les différences religieuses ne sont pas plus importantes que les goûts musicaux, les modes vestimentaires ou les affiliations politiques, et elles sont soumises aux mêmes règles de respect de la vie privée et des libertés de tout un chacun.

Oui, chez les peuples primitifs, la religion – l’idée que l’individu n’est qu’un pantin à la merci de forces surnaturelles – tend à dominer tous les aspects de la vie en société. Mais, justement, on croyait jusqu’à maintenant que la modernité était l’une de ces valeurs canadiennes qui attirent les immigrants et qui sont dignes d’être promues à l’étranger.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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