Prendre racine

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Publié 10/02/2015 par Annik Chalifour

Dalie, membre d’une prestigieuse troupe de théâtre ivoirienne, s’installe à Toronto en 1995, après six ans de tournées mondiales. Femme de théâtre, chanteuse et danseuse, l’artiste native d’Abidjan, dotée d’une ambition artistique sans bornes, est venue ici ‘parce qu’elle ressent le besoin de vivre dans une société qui met en valeur la diversité humaine et permet un espace d’épanouissement pour la femme-artiste qu’elle est devenue’, clame-t-elle haut et fort dès son arrivée.

Très tôt en Côte d’Ivoire, Dalie a ressenti l’appel de la scène. Adolescente, elle s’implique auprès d’une petite compagnie théâtrale d’Abidjan. Puis, séduite par la voix de sa tante cantatrice, elle se tourne vers les techniques de chants traditionnels. Son style artistique est influencé par deux grandes dames activistes: Miriam Makeba d’Afrique du Sud, pionnière du genre musical ethno-jazz, et la chanteuse béninoise Angélique Kidhjo, ambassadrice de l’UNICEF.

L’artiste ivoirienne prend rapidement racine en sol canadien. Dalie fonce sans pudeur, guidée par sa vision artistique, ses valeurs personnelles et sa foi en elle-même. En 10 ans, elle fonde une troupe de danse canado-africaine; une compagnie de théâtre centrée sur le partage des arts de la scène africains; un festival annuel des tambours et de la danse, toujours en constante collaboration avec des artistes d’ici et d’ailleurs.

En 2009, Dalie invente un tout nouveau spectacle à caractère féministe et social saluant le courage des femmes du monde. Lequel se voit décerné le prix Coup de cœur de Réseau Ontario lui permettant d’effectuer une vaste tournée en Ontario français. C’est alors que l’Ivoirienne découvre le Nord de l’Ontario. Elle se dit qu’un jour, elle aimerait bien vivre au cœur de cette nature grandiose et tranquille.

Début quarantaine, mère d’une fille de 26 ans, Dalie donne naissance à sa 2e fille, Nadège, en 2011. La même année, la Côte d’Ivoire traverse une grave crise politique provoquant le déplacement de milliers d’Ivoiriens. Son père meurt soudainement dans un camp de réfugiés au Ghana. Touchée en plein cœur, Dalie repart en Afrique pour organiser le rapatriement du corps en terre natale et les funérailles traditionnelles à Abidjan. Son âme d’artiste disparait sous l’immense colère et la peine qui l’affligent.

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L’Ivoirienne revient en Ontario plusieurs mois après le décès de son père, laissant Nadège sous les soins de sa grand-mère à Abidjan. L’artiste solitaire quitte la Ville Reine qui ne l’inspire plus. Dalie éprouve fortement le besoin de tout effacer, de redessiner sa vie à neuf, loin de la jungle urbaine torontoise. Se souvenant du Nord de l’Ontario, elle choisit de s’installer à North Bay. La petite ville abrite un peu plus de 53 000 habitants dont moins d’une quinzaine de familles d’origine africaine.

Elle entreprend avec succès le méga projet de parrainer Jacob et Florent, ses deux frères cadets réfugiés au Ghana depuis trois ans. La scène, son lieu de vie, lui manque terriblement. Mais il faut se nourrir, survivre à l’hiver, épauler ses frangins nouvellement arrivés en terre du Nord et continuer de soutenir Nadège à distance.

Dalie doit recommencer à zéro sa vie d’artiste nouvelle arrivante. Mais l’immigration est une expérience en mouvance continue, découvre-t-elle. La vie d’immigrant est faite d’incertitudes, comme celle de l’artiste, ressent Dalie. Mais parfois l’enchantement d’un destin inattendu surgit, comme sur la scène.

C’est ainsi que Dalie, entourée de Jacob et Florent, démarre un chapitre artistique inédit sous le signe de l’implication communautaire. Sous l’effet d’une énergie renouvelée, l’artiste crée une série d’ateliers sur le thème de la compréhension de l’immigration dédiés aux enfants des écoles de North Bay. Une aventure sensible sous les rythmes passionnés des tambours et chants de Dalie et ses deux frères. La magie de l’art ivoirien éclate au grand jour!

La douleur que Jacob et Florent ont vécue dans les camps s’estompe peu-à-peu. Les deux Ivoiriens se laissent apprivoiser par la petite ville paisible dans toute sa diversité, parmi les communautés autochtones, italiennes, francophones et africaines qu’elle héberge en harmonie.

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On doit démystifier l’immigration, estime Dalie. D’une part, faire comprendre les avantages et le bien-être qu’offre le Canada, et d’autre part faire connaitre l’histoire des immigrants et leur contribution inestimable à l’épanouissement du pays. Mais encore faut-il réaliser que « l’essentiel de l’immigration réside à l’intérieur de nous-mêmes », selon Dalie. « Le défi consiste à franchir l’immigration dans sa propre peau; à se dépasser en allant au-delà de l’inconnu et de sa potentialité ». Aujourd’hui, l’artiste se prépare à réémerger sur scène, plus forte que jamais. Dalie est en voie de créer, encore une fois, un spectacle novateur intitulé Le cabaret noir.

Sa flamme artistique vit toujours, au-delà des frontières.

* * *
Cette chronique est une série de petites histoires tirées de mon imaginaire et de faits vécus, dont j’ai été témoin au cours de mon long chapitre de vie parmi le monde des expatriés et des immigrants. Un fil invisible relie ces gens de partout selon les époques, les lieux, les événements, les identités et les sentiments qu’ils ont traversés. – Annik Chalifour

Auteur

  • Annik Chalifour

    Chroniqueuse et journaliste à l-express.ca depuis 2008. Plusieurs reportages réalisés en Haïti sur le tourisme solidaire en appui à l’économie locale durable. Plus de 20 ans d'œuvre humanitaire. Formation de juriste.

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