Polémique sur 2400 mots

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Publié 29/03/2016 par Harriet Vince

La réforme de l’orthographe française aurait-elle, comme s’indignent de nombreux intervenants et comme l’illustre le mot-clic «#JeSuisCirconflexe», de quoi faire se retourner Victor Hugo dans sa tombe?

«Il faut se battre pour des causes qui en valent la peine», commente la directrice du programme de langue seconde du département d’étude française du campus Glendon de l’Université York, Sylvie Glamageran au cours d’un entretien avec L’Express.

«Je trouve que c’est disproportionné, car l’accent circonflexe ne disparaît pas complètement, et cela ne va pas mettre la civilisation en péril!»

Si le mois de février a connu une grande polémique concernant cette modification linguistique validée par le ministère français de l’Éducation, cela relève souvent de la méconnaissance aux yeux de cette professeure de Glendon.

En effet, les rectifications qui seraient apportées ici dans la langue française touchent en réalité seulement 2400 mots, soit 4% du lexique français. Et ce n’est pas une première en France: il y a eu de telles corrections à maintes reprises au cours des siècles.

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«Ce n’est pas parce que 2% de la population, qui fait deux à trois ans de latin, sait que l’accent circonflexe remplace un s qui est tombé, qu’il faut absolument le garder», s’insurge-t-elle.

«À ce moment-là, autant garder les orthographes anciennes comme le y de roy qui est devenu par la suite roi.»

C’est en 1990 que le gouvernement socialiste du premier ministre Michel Rocard avait proposé une nouvelle orthographe pour certains mots du français afin de le rendre plus simple ou en supprimer certaines incohérences, comme le i d’oignon ou le ph de nénuphar. On a réalisé cet hiver que 2016 était la date d’entrée en vigueur de cette directive qui touche principalement les manuels scolaires.

Par ailleurs, cette réforme n’est pas seulement propre à la France. L’Allemagne a procédé à une mise à jour officielle de sa langue en 1996.

Pas joli

Pour Vanessa Berger, professeure de lettres classiques au Lycée français de Toronto, «la réticence des gens vient un peu de l’aspect esthétique. On a l’habitude de voir quelque chose écrit d’une certaine manière».

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«Il y aurait de bonnes raisons logiques d’écrire oignon sans i et nénuphar avec un f, mais pour ceux qui l’ont écrit dans cette orthographe-là, ce n’est pas joli. On a du mal à réaliser que cela soit si important que cela de changer ce genre de détail, car cela ne paraît pas très difficile de retenir», explique-t-elle.

«Les Français sont également fiers de leur langue…»

Ces deux expertes de la langue française sont persuadées que cette rectification suit une certaine continuité, dans la mesure où la langue française évolue constamment, comme l’illustrent les écrits de Molière ou de Ronsard.

Du par coeur à la compréhension

«Le problème est que l’éducation était beaucoup basée sur le par cœur. Apprendre des mots, des règles ne posait pas de problème. Maintenant la pédagogie moderne insiste beaucoup sur la construction du savoir par les élèves eux-mêmes», développe la professeure de lettres classiques.

«On fonctionne beaucoup plus sur la compréhension, donc tout le monde perd un peu l’habitude d’apprendre par cœur. Cependant, il me semble qu’il faut faire un effort d’apprentissage.»

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La rectification proposée pour la rentrée scolaire 2016 est facultative et dépend des corps professoraux. «Pourquoi une telle indignation alors que cette rectification est si accessoire et minime, il n’a pas de quoi se jeter par-dessus un pont», s’exclame Mme Clamageran.

Massacre

Pour les indignés, une telle réforme est un massacre de la langue française, dont les francophones sont si fiers, une «fêlure à l’âme» comme le soulignait Laurence Parîsot, la présidente du MEDEF représentant des entreprises françaises. Cette modification serait un nivellement par le bas et un acte de paresse pour certains qui ne voient pas le problème.

«Est-ce qu’on supprime les dates de l’histoire de France sous prétexte que ce n’est pas facile à retenir? Non», a déploré un professeur de lettres classiques sur TF1. «Il est plus simple, plutôt que de soigner le malade, de casser le thermomètre. Et là, en l’occurrence, on casse le thermomètre plutôt que de soigner les difficultés en orthographe que connaissent les élèves d’aujourd’hui».

Si de nombreux linguistes, éditeurs de dictionnaire, professeurs et grammairiens ont pris part à ce projet de modification, l’Académie française, qui l’aurait approuvée en 1990, semble s’opposer dorénavant à cette réforme de l’orthographe.

«La position de l’Académie n’a jamais varié sur ce point: une opposition à toute réforme de l’orthographe, mais un accord conditionnel sur un nombre réduit de simplifications qui ne soient pas imposées par voie autoritaire et qui soient soumises à l’épreuve du temps», a précisé la secrétaire perpétuelle de l’Académie française, Hélène Carrère d’Encausse.

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Rectification imparfaite

Vanessa Berger ne s’oppose pas à cette rectification orthographique, rappelant que le français est connu pour ses règles d’accord extrêmement complexes. Elle se demande même «pourquoi il n’y aurait pas eu plus de choses qui ont été faites dans ce sens-là. Autant aller jusqu’au bout.»

«D’autre part, ce qui me gêne dans cette réforme», dit-elle, «c’est qu’elle introduit des exceptions. Je trouve que s’il y a une rectification à faire, elle devrait aller davantage dans le sens de la simplification.»

Si elle considère que ces rectifications peuvent introduire de la confusion chez les étudiants et rendre le français plus abordable pour les allogènes, sa collègue de Glendon quant à elle n’y voit aucun danger.

«Quand un étranger aura-t-il à écrire trois millions avec un trait d’union?», demande Sylvie Glamageran. «Ce n’est pas ce qui va rendre le français plus facile pour les étrangers.» Car, en effet, la réforme de l’orthographe imposerait des traits d’union à tous les nombres composés.

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