Les parents hélicoptères

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Publié 13/04/2010 par Nathalie Prézeau

On dit des parents hélicoptères qu’ils sont continuellement en train de planer au dessus de leurs enfants. De haut, ils voient loin et grand pour leurs rejetons. Dans le meilleur des cas, ils sont très engagés dans la vie scolaire, très près de leurs enfants et d’excellents conseillers pour les aider à traverser les diverses phases de la vie. Mais il arrive que certains passent de parent engagé à parent obsédé. Ils ne savent plus quand arrêter de pousser, polir, protéger et pouponner leur progéniture. Plusieurs remettent en question cette façon stressante pour tous de jouer le rôle de parent. S’y prend-on de la bonne façon pour élever en bout de ligne des adultes possédant les capacités d’autonomie et d’auto-motivation assurant une vie riche et intéressante en dehors du cocon familial? Des suggestions, quelqu’un?

Un phénomène réel, ces parents hélicoptères?

Il n’y a pas de consensus sur la définition de ce qui constitue un parent hélicoptère mais on sait qu’il transcende les cultures et que le phénomène demeure le privilège de la classe moyenne-aisée ayant les moyens et le temps d’en faire trop. Ceux qui défendent ce style croient qu’il est synonyme de parent responsable et réaliste. Ceux qui sont contre pensent que trop de parents sont passés d’engagés à enragés. On parle maintenant de parents-roi; les enfants-roi se sont reproduits.

On utilise évidemment les cas les plus colorés pour décrire les parents hélicoptères: les mères qui jouent au chauffeur 30 heures par semaine; celles qui rencontrent la directrice pour contester un B dans le bulletin de leur écolier; les parents qui préparent des présentations Power Point pour les travaux de leurs enfants; ceux qui payent des tuteurs à 150$ de l’heure; la mère outrée qui réalise qu’il n’y a pas de service de réveil pour les élèves en résidence; celle qui appelle le Service aux étudiants de l’université pour savoir qui fera le lavage de son grand garçon…

La pression grandissante des parents très impliqués s’est sûrement faite sentir, sinon comment expliquer l’apparition de services inexistants il y a 30 ans, tel les sites web d’universités américaines qui affichent le lien de Gift University, un site en ligne de livraison de paniers de gâteries, de fleurs ou de gâteaux à envoyer à son enfant en résidence pour souligner son anniversaire, pour l’encourager avant les examens ou encore le féliciter après.

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L’université de Rochester a braqué une webcam 24 heures sur 24 sur le «Hi Mom! Balcony» sur lequel les étudiants peuvent s’installer, cellulaire en main, pour appeler leurs parents afin que ceux-ci les voient quand ils se parlent. Plusieurs parents payent d’ailleurs la note des téléphones cellulaires, sous condition que leurs enfants les appellent périodiquement.

S’il n’y avait pas une quantité suffisante de parents s’étant imposés comme amis sur la page FaceBook de leurs enfants, des sites tel www.myparentsjoinedfacebook.com ne verraient pas le jour. (Les visiteurs y apprennent qu’il ne faut jamais montrer à sa mère la page FaceBook de son nouveau chum, sous peine qu’elle prenne l’initiative de lui écrire directement!)

Quels facteurs expliquent cette présence accrue des parents dans la vie de leurs enfants?

Plusieurs facteurs ont certainement contribué au changement du comportement des parents des enfants de la Géneration Y qu’on appelle aussi la génération du millénaire (née entre 1982 et 2001):

1) Les parents ont moins d’enfants qu’avant, donc tous nos oeufs sont dans le même panier.

2) Les mères, plus éduquées qu’avant, ont eu le temps de débuter leur carrière, puis elles ont importé le mode de gestion corporative dans la famille! (Sont apparues les cartes de visite des bambins à échanger dans les parcs «My people will call your people» pour faciliter l’organisation des séances de jeux.)

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3) Notre société est obsédée par la perfection. Il faut assurer à nos enfants des dents parfaites, des vacances parfaites, une enfance parfaite, etc. (Ça ouvre la voie à des perles tel le livre My Beautiful Mommy pour aider les enfants à comprendre la chirurgie plastique de maman, ou encore le coussin protecteur pour cheveux de bébé, pour éviter que bébé ne soit aussi chauve que papi sur les photos de famille.)

4) Le marché du travail est plus compétitif qu’avant, résultat de la globalisation. Pour les parents inquiets, élever des enfants se vit un peu comme un croisement entre le sport de compétition et le développement de produit. Ça donne une société capable de se préoccuper du fait que trop de jeunes enfants veulent devenir princesse, champion de soccer ou pompier. En Angleterre, il s’est donc créé des programmes d’orientation pour les 7 ans afin d’enrayer cette fâcheuse tendance.

Les parents d’aujourd’hui sont-ils si exigeants que ça envers l’école?

Les parents sont définitivement plus exigeants qu’il y a 30 ans. On vit dans un monde de consommation et l’école a suivi. Elle est devenue un service au même titre que les autres, et comme on le sait bien, le client a toujours raison! On arrive en retard; on vient chercher les enfants plus tôt le vendredi pour ne pas rester pris dans le trafic en route pour le chalet. Le choix de lecture ne nous convient pas. On veut moins de devoir; on en veut plus.

Une directrice d’école de Toronto me parlait de la résistance des parents d’enfants d’âge préscolaire à la réintégration de l’apprentissage par le jeu dans la classe: «Ils veulent des devoirs sur papier pour les tout-petits; ça les rassure. »

De plus, nombre de parents éduqués considèrent qu’ils feraient un meilleur travail que les enseignants (quelque chose me dit qu’ils n’ont manifestement jamais fait de bénévolat sur le terrain, dans une classe de plus de 20 élèves).

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Autre dommage collatéral quand on se préoccupe trop de notre propre enfant: on finit par en oublier ceux des autres. Lors de réunions de conseil de parents, on entendra des parents se demander par exemple pourquoi on devrait octroyer de l’argent du conseil pour payer le voyage de fin d’année des 6e année alors que plusieurs parents n’ont pas d’enfants à ce niveau. Quand on leur explique qu’il s’agit d’investir dans une tradition de l’école, à laquelle les petits aspireront (un jour leur tour viendra), ces parents comprennent l’aspect collectif de la question, mais ça ne vient pas tout seul.

Pas facile la vie de prof à en juger par le faible taux de rétention des enseignants de niveau élémentaire qu’on remarque un peu partout depuis 2005, au Canada et aux États-Unis. Dans l’Outaouais par exemple, on dit que le tiers des jeunes enseignants quittent la profession dans les 5 premières années de leur carrière! Dans plusieurs états américains, ce ratio monte jusqu’à 50%.

Et quand on fouille un peu plus à fond dans la vaste banque d’articles sur le sujet, le stress occasionné par les interventions des parents et le comportement des enfants en classe sont des causes de départ souvent citées.

Aussi exigeants envers leurs enfants?

Ça, c’est une autre histoire. Il est évident qu’une grande proportion des parents d’aujourd’hui ne savent plus dire non. Je lisais sur un bloque de parents les commentaires d’une mère d’école alternative de Montréal qui écrivait: «Il suffit de faire du soutien en classe le matin pour constater que dans 30% des cas, les enfants sont inaptes à apprendre car ils n’ont pas assez dormi la veille!»

Rappelons qu’on parle ici d’une école alternative, dans laquelle on trouve des parents suffisamment préoccupés de l’éducation de leurs enfants pour rechercher des solutions en dehors des sentiers battus! Même eux ne savent dire non aux comportements qui nuisent à un bon apprentissage.

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Un des maux dont on accuse souvent les parents hélicoptères dans les médias est le fameux agenda surchargé de leurs rejetons dès le plus jeune âge. Cette accusation ne correspond pas à mon observation personnelle. Je connais très peu de parents qui imposent de nombreuses activités à leurs enfants.

Ce que j’observe plutôt, ce sont des adultes qui ne savent dire non à une activité de plus demandée par leur enfant, malgré les coûts impliqués, la gestion du temps, les problèmes de logistique et l’empiétement sur les autres aspects de la vie du parent. Comment dire non quand il y a la possibilité que le prochain cours éveille chez notre enfant une passion qui déterminera le reste de sa vie?

Et ça marche?

Une femme de Boston qui faisait l’éloge du parent hélicoptère attribuait à sa très grande implication dans les divers aspects de la vie de ses filles la belle relation étroite qui les unissait. « Ce que j’aime dans notre relation c’est que lorsqu’elles sont anxieuses ou qu’elles ont des doutes face à une décision difficile, elles savent qu’elles peuvent compter sur moi. » Ce à quoi elle a rajouté, pour illustrer la force de cette relation qu’en janvier, l’une de ses filles en résidence l’a appelée 144 fois… Il n’y a que 31 jours dans un mois. Faites le calcul! Comment cette jeune personne apprendra-t-elle l’art de prendre des décisions par elle-même?

En menant une étude auprès de 60 universités et collèges américains, une chercheure de l’Université du Texas, Patricia Somers, a recueilli des données affirmant que 10% des parents rédigent des travaux pour leurs enfants! Qu’advient-il de la notion d’avoir à subir les conséquences de ses actes afin d’apprendre la responsabilisation et l’organisation?

Des suggestions, quelqu’un?

Plusieurs penseurs éclairés jettent un regard neuf sur la question. Plusieurs pistes se pointent à l’horizon, à commencer par Freakonomics. Écrit par deux économistes « archéologues » qui ont creusé dans les données statistiquement valables pour extraire des faits étonnants, ce livre porte à réfléchir sur notre façon d’agir en tant que parents. Ils ont entre autre déterminé que faire la lecture chaque jour à nos enfants n’a pas une incidence déterminante sur la performance académique de nos écoliers. C’est contre-intuitif mais les chiffres sont là.

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Par contre, on apprend que voir ses parents lire a un réel impact sur un enfant. Vous voyez un peu l’implication? Vous empêcher de lire ce livre que vous rêvez de terminer depuis un mois parce que trop occupée nuit à votre rejeton. Allez tout de suite terminer votre roman, c’est pour son bien!

Carl Honoré, auteur de Under Pressure: Rescuing Childhood from the Culture of Hyper-Parenting, remarque que partout où ses recherches l’ont mené, les parents qu’il rencontrait exprimait un même désir sincère, celui de trouver une façon de donner à leurs enfants le temps et l’espace pour être des enfants. (Quand on y pense, nous-même, les parents, ne cherchons-nous pas la façon de nous donner le temps et l’espace pour être des humains à part entière?)

Dans son livre qui fait la promotion du «slow parenting», l’auteur recommande que les parents qui aimeraient y aller plus molo fassent la sourde oreille aux pressions des médias et de leurs pairs qui attisent la peur en eux. Il s’agit de vivre avec nos enfants des moments qui ne tournent pas toujours autour du magasinage, de la gestion d’activités ni de l’étoffement d’un CV. Bref, il s’agit de mieux vivre.

Lenore Skenazy a été nommée l’anti-parent-hélicotère. Elle est devenue célèbre du jour au lendemain après avoir publié une chronique dans laquelle elle racontait qu’elle avait permis à son enfant de 9 ans de revenir seul à la maison en empruntant le métro de New-York. La violence des milliers de réactions instantanément générées ont indiqué qu’elle avait touché le nerf hyper-sensible des hyper-parents.

Elle a ressentit le besoin d’écrire Free-range Kids: How to Raise Safe, Self-Reliant Children (Without Going Nuts With Worry) pour explorer plus à fond son choix d’éducation des enfants qu’elle a appelle «free-range parenting» (les parents qui laissent de la corde). Au nom du gros bon sens, dans l’esprit de Freakonomics, elle a voulu s’attaquer aux peurs non-fondées pour aider les parents à focusser sur les points réellement importants. «Souvenez-vous!» insiste-t-elle. Quelles libertés aviez-vous quand vous aviez leur âge? Quelles erreurs avez-vous faites? Quelles leçons en avez-vous tirées? Pourquoi priver vos enfants de cet apprentissage vital?

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Un autre excellent outil à ajouter à notre arsenal de parent: Mindset: The New Psychology of Success de Carol Dweck, professeure de psychologie à l’Université Stanford. Malgré son titre, il ne s’agit ni d’un livre de motivation pour gens d’affaires, ni d’un ouvrage new-age. Ce titre regorge de références à des recherches spécifiques menées par l’auteure, qui lui ont permis d’identifier deux types d’état d’esprit qui gèrent nos actions (fixe, ou de croissance).

Concrètement, ce livre permet de décoder les messages qu’on envoit malgré nous à nos enfants. Il démontre que plus souvent qu’autrement, avec les meilleures intentions du monde, nous sommes la source des problèmes que vivent nos enfants. Bonne nouvelle: on peut renverser la vapeur avec quelques trucs concrets.

(Cet article sert de complément à ma chronique Famille diffusée sur les ondes de TFO dans le cadre de l’émission d’actualité Panorama du 12 avril 2010. Pour en savoir plus sur le guide Toronto Fun Places, 4th édition, Cliquez ici. Pour consulter les blogues en archives, consultez On arrive-tu?)

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