Les Na, chefs de famille de mères en filles

Pascale-Marie Milan, Les Na de Lijiazui, Paris, Somogy, broché, 24x18,5 cm, nombreuses photographies en couleur, 157 p., 20 euros.
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Publié 23/08/2016 par Gabriel Racle

Connaissez-vous les Na? Votre réponse à cette question est probablement celle de la plupart d’entre nous, à savoir, non.

Et pourtant les Na existent depuis longtemps, et ils ont conservé leurs traditions, leur culture et leurs talents artistiques. Si nous les ignorons, c’est qu’il n’est pas si facile de leur rendre visite, et qu’ils ne font pas partie des circuits touristiques organisés habituellement dans nos régions, qui d’ailleurs ne donnent pas toujours une image exacte de ce peuple montagnard de Chine.

Mais une anthropologue française, Pascale-Marie Milan, va nous sortir de notre ignorance, car après plusieurs séjours parmi les Na, elle a publié un petit livre qui, par ses textes et ses nombreuses photographies, nous permet d’ajouter les Na, appelés par le gouvernement chinois Mosuo ou Moso, à nos connaissances culturelles.

Deux ans chez les Na

La quatrième de couverture de son petit livre nous donne une synthèse fort utile de son contenu, qui facilite la compréhension et les divers aspects abordés dans l’ouvrage:

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Les Na sont connus dans le paysage ethnologique comme «une société sans père ni mari». Ils ont pour coutume sexuelle la visite nocturne des hommes chez les femmes et ne se marient pas.

C’est du moins la vulgate qui s’est répandue à leur propos alors que les modalités de la coutume sont plus complexes qu’il n’y paraît. Elle prévoit à la fois le principe et le fondement des valeurs culturelles qui donnent un sens à la vie sociale, et renvoie nécessairement à des fonctions externes, économiques et politiques.

C’est dans les montagnes froides du Sichuan (Liangshan), à une cinquantaine de kilomètres de la très médiatique région du lac Lugu, que l’auteure a mené une ethnographie au plus près des Na. Plus de deux ans de terrain lui ont permis un accès privilégié à l’envers du tissu social.

L’immersion dans la vie ordinaire vécue par les Na et la participation aux diverses activités quotidiennes, lui ont permis de se défaire de l’exotique anthropologique qui entoure les explications que l’on donne généralement à propos du groupe.

Ainsi, les chants, les danses, les mythes, les rites, l’entraide et l’échange sont autant de fenêtres sur les affects et les logiques du système de pensée Na. Ils permettent d’évaluer les pratiques contextualisées d’après les justifications qu’en donnent les villageois pris dans des contraintes historiques, économiques, politiques et idéologiques.

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Sans père ni mari?

Il faut interpréter correctement la situation des femmes dans cette société qui valorise leur rôle. C’est «la dernière société où les femmes sont chefs de famille de mères en filles. Il n’y a ni mariage, ni jalousie. Les femmes reçoivent, selon leur bon vouloir, durant la nuit les hommes qui auront escaladé le balcon jusqu’à leur chambre.

En réponse à une question concernant cette société qui ne connaît pas le mariage, Pascale-Marie Milan explique la façon dont les choses se passent.

«Il y a pratiquent une coutume sexuelle singulière, les hommes visitent les femmes la nuit venue et retournent dans leur maison maternelle le jour. En chinois, cette pratique a un terme, qui signifie ‘aller se marier’. Elle a été l’objet de nombreux fantasmes… Un ensemble de considérations morales entourent la pratique: on ne peut pas changer d’hommes tous les soirs, les relations de nuit sont liées à des sentiments, on peut changer de partenaires tant qu’on n’a pas d’enfants, avec des enfants, la femme devient une ‘épouse’ et l’homme ‘mari’ (mais sans contrat).»

Elle écrit d’ailleurs à la page 56 de son livre: «Il n’est pas possible d’affirmer qu’il s’agit d’une société sans père ni mari». Presque tous les interlocuteurs qu’elle a rencontrés pouvaient citer le nom de leur père ou celui du père de leur mère.

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Découvertes

En dehors de cette question qui a fait couler beaucoup d’encre et a été l’objet de fantasmes, comme le dit P.-M. Milan, il reste d’autres domaines très intéressants à explorer, en suivant l’anthropologue dans son livre. Elle consacre plusieurs pages illustrées aux thèmes qui suivent, après une préface, un avant-propos et une introduction chargés de mettre le lecteur en contexte.

Les gens de la montagne, avec des cartes, pour situer historiquement et géographiquement les Misuo, les Naxi et les Na.

Pluralité, continuité et variation du groupe traite d’un carrefour ethnique, d’une organisation sociale singulière, de la visite des femmes pendant la nuit et de la vénération des ancêtres.

Le sacré et le lien social aborde la relation entre les Na et leur milieu naturel: penser le féminin, enterrer l’habit, porter la jupe, partir au pays des ancêtres.

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Politique et poétique des chants et des danses envisages les enjeux sociopolitiques de la danse, la fête et l’ivresse, préludes à la visite nocturne.

Changements et croissance: approches économico-politiques du village en mouvement termine l’ouvrage avec un glossaire.

Facile à lire, attrayant par ses illustrations, l’ouvrage de Pascale-Marie Milan est un essai romanesque de découvertes, toujours passionnant par les thèmes originaux qu’il aborde.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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