Charlottesville, le Waterloo de Trump?

Gravé dans la montagne près d’Atlanta, en Géorgie: le mémorial au président confédéré Jefferson Davis, au général Robert E. Lee, et au lieutenant-général Thomas Jackson.
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Publié 17/08/2017 par François Bergeron

Ce n’est pas la première fois qu’on pense que Donald Trump est allé «trop loin», et que sa candidature (en 2016) ou sa présidence (en 2017) est vouée à l’échec.

Ces spéculations ont été relancées dans le sillage des affrontements de Charlottesville, en Virginie, en fin de semaine dernière. Ses adversaires, dont un nombre croissant de Républicains désemparés, espèrent que ce sera là son Waterloo, le début de la fin, mais personne ne pariera bien gros là-dessus.

Trump est au pouvoir depuis un peu plus de six mois, mais on a l’impression que ça fait six ans. Les médias n’ont pas le choix d’en parler tout le temps tellement il domine l’actualité… et il domine l’actualité parce que les médias en parlent tout le temps.

Ses réactions contradictoires aux violences de Charlottesville, où divers groupes ultra-nationalistes, racistes, anti-sémites s’étaient donné rendez-vous pour manifester contre le déboulonnage d’une statue du général sudiste Robert E. Lee, ont scandalisé jusqu’à ses proches.

(Jeudi, Trump s’est d’ailleurs aussi prononcé contre l’élimination des monuments aux chefs de la Confédération, un débat qui fait rage dans tout le Sud du pays où ces rappels et ces mémorials sont nombreux et souvent proéminents.)

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La statue controversée du général sudiste Robert E. Lee à Charlottesville.
La statue controversée du général Lee à Charlottesville.

Une jeune femme a perdu la vie quand un des fous a foncé sur des contre-manifestants avec son automobile. Deux policiers de l’État sont morts dans l’écrasement de leur hélicoptère qui survolait les rassemblements.

Trump a d’abord dénoncé la violence «des deux côtés», suscitant un tollé de critiques. Le lendemain, il a condamné explicitement les suprémacistes blancs et les néo-nazis, et il s’en est dissocié puisque plusieurs extrémistes au sein de ce qu’on appelle l’alt-right, la «droite alternative», compteraient parmi ses admirateurs.

Dans les reportages en provenance de Virginie, certains manifestants pour «le sang et la terre» (un slogan de l’Allemagne nazie) ont indiqué qu’ils aimeraient que Trump soit «encore plus raciste». D’autres porteurs de torches, qui scandaient «les Juifs ne nous remplaceront pas», l’ont critiqué pour avoir «donné sa fille à un Juif» (Ivanka est mariée à Jared Kushner). Un des participants a énuméré calmement ses priorités: «protéger notre héritage, limiter l’immigration, tuer tous les Juifs»!

Évidemment, les discours haineux ciblaient aussi les Noirs, victimes historiques du racisme aux États-Unis, et les Musulmans, victimes récentes.

Réaffirmer, après ça, qu’il y a des délinquants et du bon monde «des deux côtés», c’est-à-dire ici chez les manifestants de l’extrême alt-right venus à Charlottesville autant que chez les contre-manifestants loin d’être tous identifiés à une «alt-left» radicale, est irrecevable.

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Trump faisait peut-être aussi allusion à d’autres tueries et violences américaines attribuées ces dernières années à des déséquilibrés se réclamant de l’Islam, de Black Lives Matter ou même de Bernie Sanders.

Ou encore à la fausse opposition entre le communisme et le fascisme, les deux totalitarismes détestables qui ont fait des millions de morts au 20e siècle, et dont le véritable antipode est la démocratie libérale.

Il est vrai que la présence de drapeaux frappés de la faucille et du marteau, par exemple dans les manifs de casseurs contre les réunions du G20 ou dans des défilés pour des revendications économiques, témoigne d’un aveuglement aussi criminel que la présence des croix gammées et des croix de fer à Charlottesville. Ces symboles sont protégés aux États-Unis par le 1er amendement de la Constitution et chez nous par la Charte des droits et libertés (comme le serait le drapeau noir de Daech, à ma connaissance jamais vu chez nous mais pas inimaginable): cela ne doit pas changer; on veut pouvoir identifier l’ennemi.

Donald Trump
Donald Trump

Trump puise aussi son carburant dans le conflit culturel plus large qui oppose depuis longtemps aux États-Unis les promoteurs du multiculturalisme et de l’immigration à tout crin aux conservateurs nationalistes ou religieux.

De tels débats, parfaitement légitimes quand ils se tiennent dans le respect des adversaires et de la démocratie, mais qui dérapent trop souvent dans l’invective et parfois dans la violence, secouent aussi le Canada et les autres démocraties occidentales.

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L’afflux en Europe des réfugiés des guerres et du chaos au Moyen-Orient et en Afrique bouscule l’ordre politique établi. Cet été, l’arrivée au Canada – notamment au Québec – de milliers de migrants haïtiens et latinos, mais aussi africains et arabes, via la frontière américaine, suscite son lot de débats, parfois virulents, sur la compétence de nos autorités et sur l’attitude à adopter face à ces désespérés.

Les événements de Charlottesville ont même touché le site internet canadien Rebel Media, champion de la liberté d’expression et d’un conservatisme décomplexé, mais trop proche de l’alt-right américaine selon son co-fondateur démissionnaire Brian Lilley, malgré les dénégations de son ex-partenaire Ezra Levant. Deux autres chroniqueurs de Rebel Media, Barbara Kay et John Robson du National Post, se sont aussi retirés, en désaccord avec le «ton» souvent strident du site.

Cet inconfort de la droite traditionnelle face à cette fameuse droite alternative est sain. C’est le même qu’on peut ressentir à gauche, par exemple au NPD, quand l’extrême-gauche prend le contrôle d’une cause qui se voulait rassembleuse. Patrick Brown, en Ontario, et Andrew Scheer, au niveau national, doivent également composer avec des candidats indisciplinés et des éléments dangeureux dans leurs partis conservateurs respectifs.

Du côté de Trump, élu par une coalition de plus en plus fragile de nationalistes, de populistes, de libertariens et de conservateurs religieux, chacune de ces factions craint que les frasques du président finissent par discréditer leurs politiques favorites… à 14 mois des élections législatives, mais encore à 38 mois des prochaines élections présidentielles.

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Trois symboles détestables.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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